05/02/2017
Je réagis dans ce billet à un article écrit par Guillaume Rovère qui soulève bien des questions sur le monde du travail actuel et la trajectoire professionnelle qui sera celle des générations Y et Z.
Slasher, un psychopathe qui s’ignore ?
https://www.linkedin.com/pulse/slasher-un-psychopathe-qui-signore-guillaume-rovere
Je suis de la génération X et je pourrai en effet me qualifier de slasher* puisque répartissant, par choix assumé, mon temps de travail entre trois activités professionnelles différentes (le conseil en stratégie et management, l’enseignement et la promotion de l’économie circulaire et le développement marketing d’une entreprise informatique).
Pouvoir utiliser le plus grand nombre de mes expertises et compétences et ce dans plusieurs domaines et pour plusieurs entreprises est l’accomplissement d’une aspiration profonde et réalisée après quasiment 20 ans de salariat. C’est de mon point de vue un mode d’engagement dans le travail plus enrichissant professionnellement et personnellement que de s’appuyer sur une expertise principale mise au service d’une fonction, d’un métier pour le bénéfice d’un seul employeur. Donc le travail en mode slasher n’est pas de mon point de vue mauvais en soi. Le problème est qu’il n’entre dans un aucun statut. L’emploi unique chez un employeur unique est encadré par le CDI, le CDD, et tout ce qui va avec – les congés payés, la rupture conventionnelle, la sécurité sociale, la mutuelle, l’allocation de retour à l’emploi etc – quand le multitravail, estampillé du statut d’independant rencontre un certain vide juridique et peut donc laisser la porte ouverte à des dérives. Libéraliser le monde du travail n’est pas pour moi opposer ces deux formes de travail en ayant le mode slasher qui remplace l’emploi salarié CDI/CDD ou y co-existe anarchiquement à côté et devienne la voie de sortie idéalisée de l’emploi salarié soumis, en vertu des contreparties qu’il apporte, à une forte relation de subordination à un employeur.
C’est le travail salarié tel qu’on le connaît depuis des décennies qui devrait être slashé et devenir protéiforme. Aujourd’hui on devrait peut-être envisager de n’avoir qu’un seul statut unique pour toute personne qui travaille avec un socle commun de protection et donc de subordination quelque soit le statut, salarié ou independant. Ce socle serait dé-corrélé de la nature de la relation de travail (en mode mission temporaire, contrat à durée indéterminée, déterminée, contrat de prestation etc.. sur x nombre de jours par semaine, mois, année selon les attentes, préférences des parties concernées). On rééquilibrerait ainsi ce jeu de perceptions et d’illusions qui fait qu’un statut peut sembler avoir des avantages très -trop- élevés, ou le visage de la précarité ou encore la promesse d’un eldorado. Cela suppose bien sûr de revoir tous les fondamentaux d’un système qui sur ces 60 dernières années n’a principalement valorisé qu’une forme de travail très linéaire. Est ce que cela répondrait à la question de burn out des slashers également évoqué dans l’article de Guillaume ? La robotisation va nous forcer à revoir le temps qui sera consacré au travail que l’on devienne tous slashers ou que l’on reste tous des travailleurs mono-emploi. Est ce que le temps de travail réduit pour cause de robotisation d’une ou toute partie de ce travail va non seulement obliger les individus à cumuler une multitude d’emplois différents pour s’assurer un revenu décent mais en plus les exposer à l’épuisement physique, intellectuel, émotionnel?
Je me risque à penser que le scénario ne sera pas aussi catastrophique. À quoi serviront tous les gains de productivité et efficacité promis par la robotisation du travail pour produire mieux, plus vite et plus près des attentes des clients et consommateurs, si de toute façon la part d’humains qui peut effectivement consommer les produits et services est de plus en plus réduite et en désastreuse précarité financière ? Ce ne seront pas les robots, qui eux n’auront nullement besoin de nourriture, de logement, de vêtements, de vacances, de comptes bancaires, de plan épargne, de séminaires de développement personnel, etc. qui vont se substituer aux millions de consommateurs d’aujourd’hui pour continuer à alimenter la machine économique. Il appartiendra à l’humain de prendre l’ensemble des décisions de fonctionnement et d’organisation du travail et de la société afin de ne pas conduire à son propre appauvrissement et épuisement tout aussi excessifs que destructeurs de tout ce qu’il aura passé des siècles à construire. La robotisation, l’intelligence artificielle, le transhumanisme, l’hyperhumanisme sont en train d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire de l’humanité. Il y a là l’opportunité pour l’humain d’élever son humanité ou… de la perdre. Le choix nous appartiendra. Merci encore Guillaume pour cet article dont la lecture ouvre bien des sujets sur le devenir du travail et amène à se demander si et comment ce travail est encore intrinsèque à la vie des humains.
* je suis d’accord avec l’auteur sur les images qui peuvent surgir à l’esprit à l’evocation de ce terme. La première fois que j’ai entendu ce terme j’ai plutôt pensé à Buffy the vampire slayer que la touche slash de nos claviers modernes :o)